Mai 2007

Ca a commencé avec un coup de téléphone.

« Bonjour Larsen, agent Gordon Power à l’appareil. J’app... »

Connor Larsen ne le laissa pas finir. Les appels de l’agent de police Gordon Power étaient fréquents depuis leur rencontre en 2005. Le journaliste avait été chargé de rédiger un article sur la police de Baltimore et avait été accueilli par Gordon, un jeune homme sympathique et débrouillard. L’agent devait simplement lui faire visiter le poste, poser pour une photo avec ses collègues et répondre à ses quelques questions. Puis, à force d’arguments convaincants, – « vous apparaitrez en première page du journal, votre femme sera fière de vous, vous n’avez pas de femme ? votre petite amie alors, et pensez à ce que ressentirons vos parents. C’est toute la ville qui vous regarde, Gordon ! » – l’agent accepta d’emmener Connor pour une intervention sur le terrain. Il émana de cette rencontre un excellent article et des clichés accrocheurs qui rendraient fous de rage les rédacteurs rivaux.
C’est pourquoi Connor garda contact avec Gordon. Gordon l’appelait dés qu’il tenait une information intéressante et Connor faisait de même. Quand ce dernier n’avait rien, il l’invitait dans les locaux du Baltimore Sun pour lui présenter ses charmantes rédactrices. On s’étonnait souvent de voir les deux hommes aussi complices, car Larsen n’était pas naturellement aimable.

Et pourtant leurs appels étaient réguliers, toujours professionnels. Larsen était donc ravi d’entendre sa voix à l’autre bout du fil, ce jour-là, sans savoir encore ce que son ami – est-ce le mot juste ? – avait à lui dire. Gordon n’avait pas fini sa phrase que Connor l’interrompait déjà. « Tiens, Power, comment vas-tu ? Comment se porte cette fameuse copine que je n’ai pas encore rencontré ? Et as-tu entendu parlé de cette arrestation qui a eu lieu à... Edgemere, je crois. Un collègue m’a dit que les flics y ont trouvé quelque 100 kilos de coke mais qu’ils ne veulent rien dévoiler pour l’instant. Tu es là-dessus ? » Gordon tentait en vain de prendre la parole, sans y parvenir. Quand Connor s’arrêta de parler, il marqua un silence. « Gordon, tu es là ? » « Oui... écoute, j’ai besoin que tu viennes au poste, c’est urgent. »

Power avait l’air inquiet. Sa voix était d’habitude plus vive, enthousiaste. Larsen ne dit rien, il était perplexe, les questions se bousculaient dans sa tête. Le temps de dire « Hum... ok, j’arrive. » et il était au volant de son coupé sport pour rejoindre le poste de police.

Gordon l’attendait à la sortie de l’ascenseur du deuxième étage. Ils avaient l’habitude de se retrouver près de la machine à café, pour s’asseoir un instant et parler boulot. Mais Gordon l’attendait dés son arrivé, se mordant les lèvres, un dossier entre les mains. Connor marchait tranquillement vers lui, toujours quelque peu incrédule. « Power, je peux savoir ce qui se passe ? » L’agent inspira fortement, avant de lever les yeux vers Larsen. « Il y a eu un hold-up à la Suntrust Bank où travaille Marine. Les cambrioleurs ont tiré sur plusieurs des employés et les pompiers sont arrivés trop tard. » Larsen ne réagi pas, sa bouche s’était légèrement entrouverte, comme s’il ne comprenait pas.

« Marine est morte, Connor. »

Larsen a lâché son attaché-case, maintenait son regard en direction de Gordon. Il était son ami, il n’avait pas le droit de lui dire ça. Il n’avait pas le droit de le faire venir au poste et de lui dire qu’on avait tué sa femme. Il lui annonçait en somme qu’il rentrerait chez lui ce soir et que Marine ne serait pas là pour l’embrasser quand il passerait la porte de leur appartement.

Le journaliste resta silencieux plusieurs secondes. Il ne voulait pas y croire. Il avait encore trop de choses à faire avec Marine. Ils n’avaient pas encore d’enfant, ni de maison à Florida Ridge. Ils n’étaient pas retournés en Italie, où ils se sont rencontrés. Connor posa une main sur l’épaule de Power. Il s’agrippait à lui, baissait la tête, cherchait une explication. « Non, non... tu dois te tromper. Ce n’est pas possible. Où est-elle ? Je veux la voir. Je veux la voir, Gordon ! » Sa voix se faisait de plus en plus forte et grave. Gordon le conduisit à la morgue, à l’étage du dessous, où il pourrait voir le corps de sa femme. Dans l’ascenseur, de fines larmes se mirent à couler sur les joues de Connor. Il voulait être fort, mais il sortait de l’ascenseur et déjà il voyait Marine allongée nue sur une table. Un médecin légiste le regardait l’air désolé, alors que Larsen et Power s’approchaient du corps de Marine. Connor aurait voulu se retenir plus longtemps, mais il éclata en sanglots et se jeta dans les bras de Gordon, qui se tenait près de lui depuis plusieurs minutes.

Il ne lui dit pas qu’il était désolé, il ne lui promit pas de retrouver le tueur, car ca n’aurait rien arrangé. Sa femme était morte et rien ne ramènerait sa joie de vivre, son odeur et son don pour l’organisation. Il pourrait tout faire, Marine ne reviendrait pas pour autant.